Accueil Industrie du livre L’auteur-entrepreneur : futur de l’écrivain ?

L’auteur-entrepreneur : futur de l’écrivain ?

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J’ai assisté mardi soir (le 3 mars), à la table ronde organisée au Labo de l’Édition, ayant pour thème : l’auteur-entrepreneur est-il l’avenir du livre ? Les intervenants étaient : Laurent Bettoni, Jean-Baptiste Gendarme, Stéphanie Vecchione (avec qui j’ai eu le plaisir de cosigner l’article Comment réussir le lancement de son livre ?) et Nicolas Francannet (un des fondateurs d’Iggybook). Le débat était animé par Elizabeth Sutton (fondatrice d’IDBOOX).

Plutôt que de vous faire un résumé de cette table ronde (cela a été déjà fait, notamment dans cet article d’Actualitté), je voudrais vous faire partager mes réflexions sur ce qui a été dit.

Table ronde

Jean-Baptiste Gendarme, Laurent Bettoni, Elizabeth Sutton, Stéphanie Vecchione, Nicolas Francannet (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)

La fin de l’édition traditionnelle ?

J’ai d’abord été frappé par le constat implacable dressé par Jean-Baptiste Gendarme et Laurent Bettoni sur l’édition traditionnelle. Jean-Baptiste Gendarme pense qu’un éditeur est indispensable pour accompagner un écrivain dans son travail d’écriture et dans la relecture du manuscrit mais les deux auteurs expliquaient, à partir de leurs expériences personnelles, qu’en termes de promotion et d’investissement (dans le sens « donner des moyens »), la valeur ajoutée de l’éditeur (même prestigieux) est au final faible. Les éditeurs investiront uniquement sur les livres d’auteurs ayant déjà vendu beaucoup d’exemplaires de leurs précédents ouvrages. D’où l’inévitable question : à quoi sert un éditeur ? Car à moins de viser un prix littéraire et de vouloir progresser dans une démarche artistique (ambitions partagées par une minorité d’écrivains à mon sens), l’auteur n’a aucun intérêt à solliciter les services d’un éditeur. Il peut faire appel lui-même à un graphiste pour sa couverture, à un correcteur, à un traducteur et organiser la promotion de son livre…

la valeur ajoutée de l’éditeur (même prestigieux) est au final faible

Les témoignages de ces deux auteurs m’ont laissé songeur. Pour moi, l’éditeur permettait précisément de « passer à la vitesse supérieure » en augmentant la visibilité d’un livre. Que nenni ! Pire, même un livre très bon, écrit par un inconnu, n’aura droit à aucune mise en avant de la part de son éditeur : le risque financier est trop important. Cela dit, compte tenu du fonctionnement du marché, peut-on en vouloir aux maisons d’édition, qui sont après tout des entreprises comme les autres, devant rentrer dans leurs coûts et dégager des bénéfices ?   

L’auteur-entrepreneur, un statut commun à tous les auteurs ?

L’auteur-entrepreneur est une réalité que chaque auteur autoédité connaît. À la lumière des témoignages, on s’aperçoit que même les auteurs traditionnels sont confrontés à cette réalité. Cela ouvre des perspectives encourageantes dans le sens où les auteurs acquièrent une liberté considérable, qu’ils peuvent s’affirmer face aux maisons d’édition, qu’ils construisent leur univers et leur « plateforme » de communication directement avec les lecteurs. Mais c’est aussi le symptôme d’un mal plus profond : le marché de l’édition se concentre sur des best-sellers qui écrasent tous les autres livres. Ainsi, l’auteur traditionnel risque d’être marginalisé par son éditeur si ses livres ne se vendent pas et les auteurs indépendants doivent toujours plus se battre pour exister.  

Beggar

Photo de Ritesh Nayak

En poussant la réflexion plus loin, l’avènement de l’auteur-entrepreneur, n’est-ce pas finalement la mort du statut d’écrivain, tel que nous le connaissions jusqu’à présent ? Stéphanie Vecchione soulignait que des auteurs tels Marc Lévy, Guillaume Musso et Katherine Pancol sont très actifs sur les réseaux sociaux et interagissent régulièrement avec leurs « fans », avec un certain talent d’ailleurs. L’écrivain se transforme en son propre « community manager », dans la lignée des chanteurs et acteurs dont les tweets et posts sur Facebook trouvent un écho gigantesque. On imagine mal un Michel Houellebecq ou un Patrick Modiano faire ce genre de choses mais peut-être sont-ils les derniers écrivains de « l’ancienne génération »… L’écrivain maintenant ne doit pas savoir être uniquement quelqu’un qui écrit de bons  livres, mais un communicant et un entrepreneur.

L’écrivain se transforme en son propre « community manager »

Quel avenir pour les auteurs ?

Dans mon article Pourquoi l’autoédition ne décolle pas en France ?, je soulignais que la démarche entrepreneuriale des auteurs indépendants était très mal perçue dans un pays qui n’aime pas l’esprit d’entreprise et qui sacralise la littérature. J’y voyais une des raisons du retard français dans l’autoédition. Je m’aperçois maintenant que le marché du livre, encore largement guidé par les maisons d’édition, change la donne puisque, de facto, tous les auteurs sont appelés à devenir des auteurs-entrepreneurs. C’est sans doute une mutation très importante : ce n’est plus le livre qui sera au cœur du marché, mais l’auteur. On achètera les livres d’un auteur non pas pour la qualité de ces derniers mais pour sa personnalité, son parcours, sa manière de communiquer… L’auteur ne sera plus seulement une « marque littéraire », mais une marque tout court, dont on achètera les produits.

Photo de Steven Depolo

Photo de Steven Depolo

Cette perspective peut sembler abominable. Pas forcément. D’une part parce que c’est l’auteur qui est au centre du jeu et que ce dernier acquiert une très grande liberté, à laquelle il n’avait peut-être même jamais goûté. Et de nombreux outils sont maintenant à sa disposition pour jouir de cette liberté de manière professionnelle (d’où la présence d’Iggybook à la table ronde). D’autre part, parce que les auteurs, en étant en contact avec les lecteurs, peuvent leur donner envie de lire et relancer l’industrie du livre. Bien sûr, le risque de voir ce nouveau paradigme parasité par un marketing effréné et peu efficace est réel. De même, il y a une indéniable précarisation des auteurs à l’heure actuelle, puisque seuls les gros vendeurs sont protégés par leurs maisons d’édition et que les contraintes règlementaires sont nombreuses (TVA, loi du prix unique etc.) et il n’est pas sûr que ce statut d’auteur entrepreneur puisse changer les choses.

les auteurs, en étant en contact avec les lecteurs, peuvent leur donner envie de lire

Quoiqu’il en soit, ce changement de statut est une chance à saisir pour tous les auteurs et peut marquer un tournant dans l’industrie du livre. En combinant communication intelligente avec les lecteurs, professionnalisme et qualité des écrits, rien ne peut empêcher un auteur de trouver son lectorat et qui sait, peut-être même vivre de ses écrits.

 

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6 Commentaires

  1. Wendall Utroi

    8 mars 2015 à 19 h 22 min

    Un nouvel article très intéressant et qui donne à réfléchir.

    Répondre

  2. Guy Morant

    8 mars 2015 à 21 h 05 min

    Si des professionnel dressent un tel constat (même en l’assortissant de l’habituel éloge de l’éditeur-coach), cela signifie que les auteurs (publiés) ouvriront tôt ou tard les yeux. La prolétarisation des auteurs professionnels (je pense surtout à la littérature de jeunesse et à la nonfiction) montre que les éditeurs ne sont plus en mesure d’assurer à leurs auteurs maison des revenus convenables.
    La démarche de l’auteurpreneur (ou auteur-entrepreneur) est intéressante, mais elle suppose de nouvelles compétences de la part des auteurs. Ce n’est pas parce qu’on écrit d’excellents livres qu’on est capable de gérer un profil social, choisir des prestataires, concevoir un plan marketing. En fin de compte, la survie des auteurs risque de dépendre de facteurs largement non littéraires.
    En écrivant cela, je ne prêche pas pour ma propre chapelle, car je me sens plutôt à l’aise dans tous les aspects périphériques du métier d’auteur. Je regrette simplement que les éditeurs montrent si peu de reconnaissance envers ceux qui leur permettent d’exister.

    Répondre

  3. Audrey Cornu

    20 juillet 2016 à 16 h 46 min

    Bonjour Thibault, merci pour cet article.
    Je me permets de revenir sur votre conclusion : « l’auteur n’a aucun intérêt à solliciter les services d’un éditeur ».
    Il me semble que vous oublier le rôle principal, fondamental et probablement le plus chronophage (mais le plus agréable) de l’éditeur : le conseil, le travail sur le texte avec l’auteur.
    A quoi sert un éditeur ? Mais à pousser l’auteur à écrire le meilleur texte possible.
    Un auteur écrit seul et ne peut pas toujours utiliser son entourage (compétences, confidentialité d’un texte) pour des relectures efficaces. Venant moi-même de créer ma maison d’édition, ReadMyBook, et passant énormément de temps à travailler sur le texte avec les auteurs, je ne pouvais pas ne pas vous répondre…

    Répondre

    • thibaultdelavaud

      22 juillet 2016 à 8 h 31 min

      Oui, vous avez raison, un éditeur doit normalement effectuer ce travail. Je dis « normalement » car les témoignages que j’ai reçus et entendus indiquaient que les éditeurs remplissaient de moins en moins ce rôle d’accompagnement littéraire (sans doute est-ce une des raisons également du succès de l’autoédition). C’est tout à fait dommage car c’est la véritable valeur ajoutée de l’éditeur (avant même le marketing etc.)

      Répondre

      • Audrey Cornu

        18 août 2016 à 10 h 13 min

        Merci pour cet ajout, Thibault. C’est effectivement regrettable que ce rôle fondamental tende à disparaître.

        Répondre

  4. Audrey Cornu

    20 juillet 2016 à 16 h 47 min

    « que vous oubliez » (pardon pour la faute de frappe)

    Répondre

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